lundi 27 novembre 2023

Têtes de linottes? Innovation et intelligence chez les oiseaux de Louis Lefebvre

 

Si comme moi vous avez eu l'occasion de lire des articles ou de visionner des vidéos sur les comportements des oiseaux, vous êtes déjà familiers avec les éléments de base du livre «Tête de linotte - innovation et intelligence chez les oiseaux» (2023) de Louis Lefebvre. D'autre part, Lefebvre lui-même ou des journalistes qui l'ont interviewé ont publié des articles de vulgarisation qui font état de ses recherches depuis plusieurs années, surtout depuis le début 2000. Notamment parce que l'intelligence particulière du Corbeau de Nouvelle-Calédonie a été décrite vers 1996 et surtout parce que nos connaissances du cerveau des oiseaux se sont passablement améliorées à partir de l'an 2000. De plus, le succès de l'ouvrage de Jennifer Ackerman, «Le génie des oiseaux» à contribuer grandement à faire connaître les «capacités intellectuelles» des oiseaux. Lefebvre le mentionne d’ailleurs comme le meilleur livre de vulgarisation sur le sujet. Ackerman a longuement interviewé Lefebvre et elle le cite à quelques reprises dans son livre. Ainsi, il se trouve plusieurs comportements inusités de différentes espèces d’oiseaux dont vous pouvez déjà avoir pris connaissance avant de lire cet ouvrage.

Il y a eu ces observations d’oiseaux en train de picosser et d’arracher les bouchons des bouteilles de lait laissées sur le pas des portes. Puis ceux qui déchirent des feuilles de pandanus pour fouiller dans des trous et sortir des larves. D’autres qui ajoutent des cailloux dans un contenant d’eau pour faire monter le niveau d’eau et atteindre la bouffe. D’autres oiseaux qui utilisent des brindilles pour fouiller dans la terre à la recherche d’insectes. Finalement, certains oiseaux qui volent les sachets de sucre dans les restaurants et d’autres qui volent devant l’œil électronique qui contrôlent l’ouverture des portes d’un restaurant pour avoir accès aux miettes… Ce n’est que quelques exemples! À cela s’ajoute toute une gamme d’expériences contrôlées où les oiseaux se voyaient obligés de compléter une séquence d’opérations combinant plusieurs actions (tirer, pousser, choisir le bon outil, etc.) afin d’avoir accès à de la bouffe. 

Ce que l’éthologiste et biologiste Louis Lefebvre a publié c’est un texte de vulgarisation décrivant les résultats de 40 ans de recherche sur un même thème. Tout au long des différents chapitres, il décrit des comportements d’oiseaux qui démontrent la «capacité d’innovation» de ceux-ci, la piste principale nous menant à «l’intelligence des oiseaux». L’ensemble de ces comportements ont été répertoriés par Lefebvre et ses partenaires de routes pour finalement composer une base de données grandissante qui compte plus de 4000 observations d’innovations attribuées à plus de 1600 espèces d’oiseaux. Il est possible d’en apprendre plus au sujet de la base de données dans ce papier publié en 2021: - Lefebvre, Louis, «A global database of feeding innovations in birds», The Wilson Journal of Ornithology, Vol. 132 No. 4, pp.803-809 https://doi.org/10.1676/20-00101

L’intelligence des oiseaux a longtemps été sous-estimée par les biologistes… et la population en général. Toutefois, les découvertes de la science dans plusieurs domaines au cours des vingt ou vingt-cinq dernières années nous ont appris qu’ils sont plutôt brillants, parfois plus que les grands mammifères. Parmi les raisons de s’intéresser à «l’intelligence des oiseaux» et à celle des autres animaux, c’est que les recherches en cours nous offrent une occasion d’en apprendre plus au sujet de l’intelligence humaine.

Pour ma part, c’est là que le livre de Lefebvre est devenu plus intéressant, à savoir tout ce que la recherche nous a permis de découvrir au sujet du fonctionnement du système nerveux central et de la structure du cerveau des oiseaux. Pour finalement apprendre que la «capacité d’innovation» est associée à la taille relative du cerveau et à un plus grand nombre de neurones… Ces neurones se retrouvant notamment dans une zone spécifique du cerveau de l’oiseau, le nidopallium caudolatéral l’équivalent de notre cortex préfrontal que l’on croyait absent chez les oiseaux.

«On s'est rendu compte que certains oiseaux avaient un nombre de neurones supérieur à des singes dans des parties du cerveau équivalentes. Certaines espèces, comme le perroquet, par exemple, ont presque deux milliards de neurones. C'est énorme, c'est plus dense que ce qu'on retrouve chez un mammifère du même poids corporel.» - Louis Lefebvre

On a également constaté que le temps de développement des petits des corvidés (corbeau, etc.) et des psittacidés (perroquet, etc.) étant plus long, ça permet une plus longue neurogenèse, soit la fabrication d’un plus grand nombre de neurones. Et ces oiseaux sont parmi les plus «innovateurs».

Mais ils sont allés encore plus loin en analysant les synapses et leurs neurotransmetteurs et récepteurs. Ils se sont intéressés plus spécifiquement au NMDA (N-méthyl-D-aspartate) dont le rapport des récepteurs identifiés 2A et 2B s’est révélé être un indice encore plus pointu de la «capacité d’innovation». Ainsi, plus un oiseau présente de récepteurs NMDA 2B que de 2A plus son cerveau semble à même d’innover.

Les recherches décrivant le fonctionnement du cerveau des oiseaux nous ont également fait découvrir les endroits spécifiques où le traitement de certaines capacités plus particulièrement développées chez certaines espèces se réalisait. La phénoménale mémoire des mésanges, vachers et autres est le reflet d’un hippocampe surdimensionné alors que chez les chanteurs mélodieux c’est la portion nommée HVC du nidopallium qui se trouve à être plus développé...

Lefebvre et son équipe se sont également intéressés à un certain nombre de questions liées aux avantages que pourrait procurer cette nouvelle étiquette «d’oiseau intelligent». Est-ce que cela pourrait avoir un impact sur l’évolution via la sélection naturelle? Il semble que oui, puisque les «oiseaux intelligents» compte plus de sous-espèces, plus d’espèces par famille, ils affichent une plus grande diversité. En matière d’introduction d’espèces dans un nouvel environnement, encore là les espèces d’oiseaux les plus innovantes / intelligentes arrivent à survire alors que les autres sont disparues. L’intelligence aviaire influence également la sélection sexuelle, les femelles auraient tendance à choisir les mâles les plus «intelligents», mais cela n’aurait pas à ce stade-ci des recherches, d’influence surf la qualité de de la reproduction (nb de petits). Le risque d’extinction d’une espèce a également fait l’objet d’analyse et le risque de disparition diminue chez les espèces plus innovantes.

Tout cela rend les oiseaux encore plus fascinants. Ainsi, le corbeau est plus intelligent que bien des mammifères. C’est un ouvrage à lire si vous êtes intéressé aux oiseaux ou au cerveau!

Louis Lefebvre termine son bilan professionnel de chercheur universitaire en espérant que «notre intelligence» nous permettra de ne pas détruire l’habitat dans lequel elle commence à peine à se déployer. Parce que dans 5 millions d’années, s’il faut parier sur la survie des humains et des corbeaux, on n’est pas bien sûr de la réponse.



Louis Lefebvre

«Louis Lefebvre est arrivé aux oiseaux par la psychologie. «Rien ne m’excitait vraiment en psychologie. Il me semblait que les concepts et les modes changeaient tous les deux mois. À un moment donné, tout le monde parle de résilience. Deux ans plus tard, plus personne n’en parle…»

Il a alors découvert les travaux de Conrad Lorenz et de Niko Tinbergen, fondateurs de l’éthologie – et co-Nobel de physiologie. «L’échelle de temps qui fait changer le comportement animal, on parle de milliers d’années. J’avais l’impression de quelque chose de plus constant.»

Lefebvre a fait un postdoctorat à Oxford avec Richard Dawkins, dont les travaux suivaient ceux de Lorenz et compagnie. Il était conscrit à l’étude du toilettage des grillons, afin de déterminer si ces insectes respectent une «grammaire» dans leur comportement. La réponse (venue après des heures de plaisir) est oui.

Il a ensuite fait carrière à l’Université McGill, à étudier les innovations chez les volatiles.» - Yves Boisvert, La Presse+


Quelques sources d’informations complémentaires

Découverte - Comprendre l'intelligence des oiseaux - Radio-Canada Info https://youtu.be/60xxn4y5FkY 

Danny Lemieux, La cervelle d’oiseau pourrait vous surprendre, Radio-Canada, Publié le 29 janvier 2023 https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1950869/cervelle-oiseau-intelligence-neurone 

Vinciane Despret et al., «Les superpouvoirs des oiseaux», Pour La Science, Hors Série, n° 119 – 05.23/06.23

Devost, Isabelle, «L'innovation chez les oiseaux - Que le meilleur gagne!», Québec Oiseaux, vol.35, no.1 automne 2023, pp.17-23

Yves Boisvert, «L’élégance de l’oiseau-mouche», 5 novembre 2023, La Presse +  https://www.lapresse.ca/contexte/2023-11-05/un-cafe-avec-louis-lefebvre/l-elegance-de-l-oiseau-mouche.php

Jacques Lanctôt,«Tout sur les oiseaux», Samedi, 28 octobre 2023, Journal de Montréal https://www.journaldemontreal.com/2023/10/28/tout-sur-les-oiseaux 

Laure Cauchard, « Cervelle d’oiseau », être une « buse » ou un « grand serin »... des compliments ?, Dire, Vol. 22 No. 2, Été 2013 https://www.ficsum.com/dire-archives/ete-2013-3/sciences-biologiques-cervelle-doiseau-etre-une-buse-ou-un-grand-serin-des-compliments/ 

«L'innovation comme signe d'intelligence - Petits futés!», Louis Lefebvre, 2009, pp.10-14 https://quebecoiseauxkiosk.milibris.com/share/article/c7d7abf3-9149-4cad-afb9-2122e9dfda95/90323d2c-e9ba-4a64-a323-c426d659c01c 


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