L’ouvrage intitulé «Le monde à tire-d’aile: l’odyssée mondiale des oiseaux migrateurs» (2024) de Scott Weidensaul est la version française de «A World on the Wing: The Global Odyssey of Migratory Birds» publiée en mars 2021. Il s’agit d’une exploration du phénomène extraordinaire de la migration aviaire à l'échelle planétaire. C’est un livre de vulgarisation scientifique, finaliste au prix Pulitzer, qui nous fait visiter les différentes routes migratoires qu’empruntent les oiseaux pour nous décrire comment ils y arrivent. Il évoque les obstacles auxquels ils sont confrontés, puis souligne l’importance d’intervenir pour préserver ces merveilles de la nature.
Scott Weidensaul est un ornithologue de renommée internationale qui s'appuie sur plus de trois décennies d'expérience terrain pour nous décrire ce phénomène hors du commun que sont ces voyages migratoires de milliers de kilomètres qu’effectuent les oiseaux pour se reproduire. Pour ma part, j’ai été en contact avec les travaux de Weidensaul dans le cadre du projet «SnowStorm» qui fait le suivi annuel des Harfangs des neiges.Ce qui est particulier avec cet ouvrage c’est que Weidensaul nous raconte ses voyages de l’intérieur, il nous décrit de belle façon les lieux, les paysages et ses collègues ornithologues. Puis, il en profite pour nous glisser des informations sur la migration des oiseaux. Son récit du quotidien des ornithologues sur le terrain transforme la recherche scientifique en une aventure.
L'ouvrage est construit autour de dix chapitres, encadrés par un prologue et un épilogue dans lesquels il nous raconte une expédition récente de baguage dans le Parc national de Denali en Alaska. J’oserais dire que cinq des chapitres relèvent davantage d'aventures ou d’expériences ornithologiques particulièrement remarquables et que les cinq autres abordent avec plus d’emphase les comportements des oiseaux et des enjeux liés à la migration.
Lors de son passage sur les rives de la mer Jaune en Chine, il a exploré avec ses collègues les grandes vasières pour y observer les échassiers migrateurs, notamment différentes espèces de Spatules. L'auteur y sonne l'alarme concernant la destruction de 60 à 70% des vasières de la mer Jaune par la Chine et la Corée du Sud au profit du développement économique. Les oiseaux migrateurs s’entassent sur des bandes de plus en plus petites et doivent chercher d’autres haltes migratoires.
Weidensaul a accompagné des chercheurs sur les aires d'hivernage de la Paruline de Kirtland aux Bahamas. Le défi était de baguer et d’apposer des émetteurs sur le plus grand nombre de Parulines possible pour ensuite faire le suivi au Michigan, dans le secteur spécifique où elles viennent se reproduire. La Paruline de Kirtland était au bord de l'extinction en 1974 et ce projet illustre comment la recherche et la conservation ciblées peuvent sauver une espèce.
Il a visité Butte Valley en Californie, où, grâce à la rigueur d’un ornithologue de la première heure, la Buse de Swainson bénéficie de quarante ans de suivi et de recherches. Le travail se poursuit puisque de jeunes chercheurs ont repris le flambeau. Encore une fois, avec l’arrivée en scène des émetteurs, les ornithologues ont été en mesure d’identifier l’aire d’hivernage de la Buse de Swainson qui se trouvait au sud de l’Argentine. En allant sur place, ils ont rapidement pris la mesure du problème qui avait entraîné une baisse de la population de ces buses. Il s’agissait de l’usage immodéré de pesticides en agriculture. De longues et ardues négociations au sujet de l’usage des pesticides ont permis de lentement rétablir la population.
Il s’est rendu observer des migrateurs pélagiques, comme les pétrels, les océanites et les albatros dans les Outer Banks de la Caroline du Nord. Il s’agit du point de la côte le plus avancé dans l’océan. Avec les chercheurs, ils ont identifié d’obscures petites îles qui servent d’aires de reproduction à ces oiseaux marins. Tout ce secteur est menacé par les changements climatiques et le rehaussement du niveau de la mer.
Sur l’île de Chypre, il a accompagné des inspecteurs dans la lutte contre la chasse aux oiseaux chanteurs. Il est question ici de plusieurs types de chasse, au fusil, à la colle et au filet. Les oiseaux seront vendus comme repas ou comme oiseaux chanteurs en cage. Interdite depuis quelques années, ces types de chasse existent encore parce qu’elles faisaient partie des traditions locales.
Dans le dixième et dernier chapitre, Weidensaul nous raconte l’expérience hors de l’ordinaire qu’il a vécu au Nagaland en Inde. S’exposant à des conditions de vie minimaliste, son groupe a réussi à être témoin du rassemblement de dizaines de milliers de Faucons de l'Amour. Imaginez-vous des fils remplis de faucons collés l’un sur l’autre. Là aussi du travail de conservation et d’éducation doit être réalisé puisque les faucons constituent une manne alimentaire pour la population locale. Évoquer l’éventuel tourisme «aviaire» des Occidentaux ne règle pas la famine.
Comme je l’ai mentionné, dans les autres chapitres, tout en voyageant à travers la planète, Weidensaul nous éclaire au sujet de différents phénomènes d’adaptations extraordinaires des oiseaux migrateurs. Ainsi, on apprend que les oiseaux peuvent rapidement modifier la taille de leurs organes vitaux pour s'adapter aux différentes étapes de leur voyage. Il donne en exemple les Barges rousses qui entreprennent un voyage aller-retour d’environ 29 000 kilomètres entre l'Alaska et la Nouvelle-Zélande, ce qui inclue parfois un vol ininterrompu d’environ 11 600 kilomètres à la portion d'automne de leur migration. Avant leur départ, ces oiseaux doublent leur poids corporel en seulement deux semaines en accumulant des réserves de graisse. Ils subissent ensuite une atrophie de leurs organes digestifs devenus inutiles, tout en renforçant simultanément leur musculature de vol, leur fonction cardiaque et leur capacité pulmonaire. C’est complètement inimaginable.
Il évoque le phénomène du sommeil en vol qui intriguait les chercheurs. La recherche a permis de découvrir que les oiseaux avaient la capacité de dormir en vol parce qu’il arrive à «éteindre» alternativement les moitiés gauche et droite de leur cerveau. Les frégates, albatros et autres oiseaux pélagiques peuvent ainsi voler pendant des mois sans jamais se poser. Il semble même que leur temps de réaction s'améliore pendant ces «siestes» particulières. Ils demeurent à l’affût même s’ils dorment.
Il est maintenant connu que les oiseaux migrateurs sont sensibles au champ magnétique de la Terre, ce qui les aide à s’orienter lors de leurs longs voyages vers leurs lieux de reproduction et d’hivernage. Mais la recherche n’avait pas encore identifié ce qui serait la clé de cette remarquable sensibilité. Eh bien, l'un des aspects fascinants de ce livre concerne la découverte voulant que les oiseaux utilisent «l'intrication quantique» pour naviguer. Bon, ici, je vais vous envoyer quelques phrases pour tenter une explication claire, mais il faut disposer de bonnes connaissances en physique et en biologie pour comprendre. Alors, lorsqu'un «photon stellaire» frappe une «molécule de cryptochrome» dans l'œil d'un oiseau migrateur, il crée une «paire de radicaux liés quantiquement». C’est cet effet quantique qui rend les oiseaux sensibles au champ magnétique terrestre. Il crée probablement une forme ou une tache visible dans le champ de vision de l'oiseau1. Cette découverte a chamboulé toutes les hypothèses liées à la compréhension de la navigation aviaire2.
Weidensaul souligne également la révolution technologique qui transforme l'ornithologie moderne. Chaque fois il le fait en nous parlant d’une espèce d’oiseau migrateur en particulier. Les gigantesques bases de données comme eBird contenant les observations des ornithologues permettent de cartographier de façon de plus en plus précise les déplacements des oiseaux sur une année. Puis les dispositifs de suivi miniaturisés permettent désormais de suivre même les plus petits oiseaux, comme les parulines et les colibris dans leurs mouvements migratoires. Enfin, les radars Doppler utilisés en météorologie offrent une vision sans précédent de la localisation et des effectifs des oiseaux migrateurs presque en temps réel et au mètre carré près.
De la même façon, il met en évidence les menaces majeures auxquelles font face les oiseaux migrateurs. Ainsi, dans cet ouvrage, il est question de la destruction des habitats, du braconnage illégal, de l’introduction d’espèces envahissantes et nuisibles, puis, l’éléphant dans la pièce, des changements climatiques. Ces derniers créent un déséquilibre dans les cycles migratoires. Dans le Grand Nord, les hivers tardifs, les printemps précoces et les étés de plus en plus chauds affectent particulièrement les migrateurs de longue distance. Les conditions qu’ils trouvent à leur arrivée sur leurs aires de reproduction ne sont pas toujours propices à la nidification. Ce qui peut briser la coordination avec l'éclosion des insectes qui constitue la nourriture essentielle de leurs poussins.
L’auteur termine son ouvrage en lançant un appel à l'action. Comme d’autres il évoque la restauration des habitats fauniques, la création et la protection de corridors écologiques, une implication accrue des communautés autochtones, le développement de la science participative et un renforcement de la coopération internationale. Il compte sur notre émerveillement face aux oiseaux et notre lien émotionnel avec eux pour que des changements s’opèrent.
1-Pour tenter de comprendre, vous pouvez consulter ce document et visionner cette vidéo:
La navigation quantique des oiseaux migrateurs : une boussole biologique décryptée
La mécanique quantique peut-elle expliquer comment les oiseaux naviguent ?
https://www.youtube.com/watch?v=abQK_Rs86kk
2-Contrairement à ce qui est mentionné ici, de récentes études suggèrent que les Pigeons perçoivent les champs magnétiques en détectant les courants électriques dans leurs oreilles internes.



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