Vous devez lire «Les chants perdus de la nature - Bienvenue en Anthropophonie» (2024) de Michel Leboeuf notamment parce qu'il s'agit d'un sujet qui est moins souvent abordé. Il y est question de biodiversité, mais d'un autre angle, via le son et le bruit! Michel Leboeuf est biologiste, ornithologue, naturaliste et surtout un auteur prolifique deux fois lauréat du prix Hubert-Reeves, couronnant le meilleur livre de vulgarisation scientifique au Québec. En somme, c'est un passionné de la faune et de la flore du Québec.
Il a fait le choix de nous présenter son ouvrage comme une symphonie en cinq mouvements avec un prélude et une conclusion, le tout en 15 chapitres. D'entrée de jeux, il laisse entendre que c'est la dégradation de son audition qui l'a poussé à écrire ce livre. Il souligne qu'il n'entend plus le roitelet à couronne dorée ou le grimpereau brun lors de ses sorties en forêt. Il n'est pas le seul, certains de mes collègues ornithologues l'ont également constaté en prenant de l'âge.
Il entreprend donc de nous faire découvrir un relativement nouveau domaine scientifique qui analyse le «paysage sonore» soit «l'écologie acoustique», le travail des bioacousticiens. Dans son «premier mouvement» l'auteur fait appel à notre imagination sonore en nous racontant ce qu’a pu être l’histoire sonore du Québec au fil du temps et des saisons, de la dernière glaciation à aujourd’hui.
Le deuxième mouvement s’insère comme une sorte de parenthèse qui va nous aider à mieux assimiler la suite, l’auteur nous rappelle ce qu’est le son. Un petit rafraîchissant de nos cours de physique du secondaire. Toutefois, un concept important se démarque, c’est-à-dire les trois classes de son d’un paysage sonore. Le paysage sonore que l’on entend est constitué de la « géophonie », c'est-à-dire les sons qui émanent de l’habitat, comme le vent dans les feuilles, l’écoulement du ruisseau, la glace qui bouge l’hiver, etc., les sons les plus anciens. La deuxième source des sons est la « biophonie », c'est-à-dire les sons émis par la faune, les chants des oiseaux, le coassement des grenouilles ou le hurlement des loups. Finalement, les sons généralement les plus désagréables, ceux produits par les humains, portent l'étiquette d’« anthropophonique » ( ou anthropique). C’est à retenir, géophonie, biophonie et anthropophonie.
Ce sont les pages du troisième mouvement qui ont le plus retenu mon attention parce qu’il y est question de l’audition et des «manifestations sonores» des animaux. Il est fascinant de constater comment des êtres vivants sans oreille peuvent entendre… Bien entendu, dans le paysage sonore animal, il est beaucoup question des oiseaux. Le lecteur profite d’un tour d’horizon de leurs chants d’amour ou de guerre et des différents types de cris de communication qui servent à se localiser, à quémander de la nourriture, à alarmer avec plus ou moins d’urgences, etc. On nous rappelle justement que chez le Piranga écarlate, le mâle et la femelle communiquent entre eux pour signaler leur position sur le site de nidification.
À la lecture du mouvement suivant, vous demeurerez bouche bée puisqu’on y apprend, à la lumière des plus récentes recherches, que les végétaux possèdent des capacités sensorielles stupéfiantes. Dans ce qui constitue le paysage sonore végétal, l’auteur nous démontre comment les arbres et les plantes peuvent voir, toucher, sentir et entendre! Pensez-y quelques secondes, les végétaux recherchent et suivent la lumière, mais pas n’importe laquelle, ils savent qu’un insecte vient de se poser sur eux et leur réaction sera différente s’il est nuisible ou profitable, le bruit d’une abeille ou d’un papillon stimule des fleurs à produire plus de pollen, etc. Ces découvertes sont l’œuvre d’un nouveau champ d’investigation scientifique : la bioacoustique végétale.
Le dernier mouvement, c’est celui de la déprime, parce que Michel Leboeuf veut nous faire prendre conscience que «l’humain est un musicien qui joue trop fort». On s’y attendait, c’est ici qu’il nous indique que notre paysage sonore est composé plus souvent de bruit que de son agréable issue de la géophonie et de la biophonie. La faune et la flore modifient leurs comportements devant des environnements trop bruyants. On nous rappelle que le paysage visuel est relativement stable alors que le paysage sonore change constamment. Nous sommes exposés en permanence à des stimuli sonores. Il a fait l’exercice d’évaluer son propre environnement sonore dans différents contextes, à la maison, dans le quartier et au travail pour réaliser qu’il est privilégié de fréquenter la forêt plus que la moyenne des gens. Il fait également le constat que de façon générale, le bruit le plus commun est celui de la circulation automobile.
L’auteur nous rappelle que des espèces sont déjà disparues et que nous ne savons pratiquement rien des sons qu’elles émettaient. D’autres espèces sont en voie d’extinction et nous en sous-estimons probablement l’ampleur. Est-ce que tout cela nous mène à l’aube de la sixième grande extinction, l’ère de l’Homogéocène (Leboeuf préfère ce terme à Anthropocène). Il poursuit en abordant la dégradation des habitats due à la pollution, leur fragmentation et carrément leur disparition, ce qui constitue probablement la plus grande menace pour l’ensemble des espèces. C’est sans compter la surexploitation des ressources de notre seule planète et l’avènement des changements climatiques ce à quoi il ajoute la prolifération des espèces exotiques envahissantes.
Devant ces constats désarmants, Leboeuf privilégie une solution, «une nouvelle partition», pour rester dans le thème symphonique, mais il s’agit ici de partition du territoire puisqu’il évoque la cible des 30% de milieux naturels protégés qui fait plus ou moins consensus. Il prend justement le temps de nuancer cette cible puisque de protéger 30% du Grand Nord québécois ne nous aidera pas beaucoup à préserver la biodiversité sur l’ensemble de notre territoire. Il faut être plus audacieux et plus ambitieux et envisager de moduler les cibles de superficies à protéger selon l’occupation du territoire. Ainsi, il est proposé de considérer trois principaux types de paysages, les paysages urbains, les paysages mixtes et les paysages intacts en protégeant respectivement 17%, 33% et 50% de leur superficie en visant une moyenne globale de 33%. Selon Leboeuf voici comment cette proposition pourrait s’appliquer au territoire québécois. Dans cette zone densément peuplée et exploitée de la vallée du Saint-Laurent, aux environs des 45e et 46e parallèles, la cible serait de 17% à 30% d’aires protégées. Entre les 46e et 49e parallèles, sur les contreforts des Laurentides et des Appalaches, par exemple au Témiscamingue, au Saguenay–Lac-Saint-Jean ou au Bas-Saint-Laurent, la cible serait de 30% à 50% d’aires protégées. Puis, au-delà du 49e parallèle, dans les zones de nature sauvage, la cible serait de 50% et plus d’aires protégées. De cette façon le Québec pourrait probablement atteindre une cible globale de 30% d’aires protégées représentative de la biodiversité de ses différents écosystèmes.
Il termine en soulignant que les modifications du paysage sonore sont l’un des signes de la détérioration de la biosphère. En affirmant qu’il n’est pas trop tard, il nous invite à faire preuve d’humilité et à diminuer notre impact sur la planète bleue.
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