mercredi 19 juillet 2023

La voie des oiseaux de Jennifer Ackerman


J'ai complété la lecture de «La voie des oiseaux» de Jennifer Ackerman parue en 2020. J’attendais la version en livre de poche, mais elle n’est toujours pas disponible. J’ai eu recours à la bibliothèque municipale, un service bien utile.

Il s’agit d’un excellent ouvrage tout comme «Le génie des oiseaux», son best-seller précédent. Encore une fois, ce livre est basé sur une recherche approfondie de la littérature existante, on y trouve une bibliographie de «lectures complémentaires» qui fait plus de 30 pages. Elle a fait des entrevues avec des chercheurs et des ornithologues réputés, elle a voyagé à travers la planète pour ces rencontres et pour observer par elle-même les oiseaux. Dans son livre «Le génie des oiseaux», il était essentiellement question de l'intelligence. Par contre, dans cet essai, on aborde davantage les comportements des oiseaux et plus particulièrement ceux qui surprennent, les comportements qualifiés d’extrêmes ou de marginaux. Ackerman mentionne que l'idée de ce livre a germée durant des conversations avec Louis Lefebvre de l'Université McGill, lors de la rédaction du «Génie des oiseaux» parce que l'échelle d'intelligence dont il est fait mention dans «Le Génie des oiseaux» est essentiellement basée sur des comportements des oiseaux et plus spécifiquement sur les comportements innovateurs c'est-à-dire ceux qui démontrent une capacité de faire quelque chose de nouveau devant un défi. Elle dit «Actuellement, il n'y a clairement pas de façon unique d'être un oiseau.» Ainsi, dès l'intro on comprend l'univers qui nous attend.


Ackerman souligne également qu’au cours des dernières années il y a eu une explosion de la recherche et des découvertes au sujet du comportement des oiseaux. D’autre part, le monde de la recherche aviaire a de plus en plus éliminé le «biais géographique» c'est-à-dire que l'essentiel des recherches se faisait dans le nord aux États-Unis ou en Europe. Il en va de même pour le «biais lié au genre» puisque, les chercheurs étaient essentiellement des hommes, ce qui orientait la recherche davantage sur les oiseaux mâles. Il y a également le développement technologique qui a permis de faciliter la recherche auprès des oiseaux, notamment avec les caméras miniatures.

Le livre est divisé en 5 sections et compte 14 chapitres. Les sections sont: Communiquer, Travailler, Jouer, Aimer et Élever les petits. J'ai utilisé cette même division pour vous faire part brièvement de ce que l’on retrouve de particulièrement intéressant dans cet ouvrage.

Communiquer

En matière de communication ce n'est pas que le chant qui est en cause. Il est aussi question des mouvements des oiseaux et des caractéristiques de leur plumage. Il n’en demeure pas moins qu’Ackerman nous parle essentiellement des chants et des cris dans cette section. Par exemple, on ne sait toujours pas pourquoi les oiseaux chantent tous ensemble à 4h du matin ce qu'on appelle poétiquement le «refrain de l'Aube». Par contre, on s'est rendu compte que les plus grands oiseaux chantent généralement en premier et plus précisément encore ceux qui ont les plus grands yeux! De façon générale, il semble que la vocalisation des oiseaux ne soit pas encore très connue. Prenons l’exemple de notre Merle d'Amérique, il émet plus de 20 types de sons, c’est beaucoup plus que ce que vous pouvez reconnaître chez cette espèce. Saviez-vous que la Grive des bois peut faire des duos avec elle-même? D'ailleurs, le chant en duo d’un mâle et d’une femelle serait le fait d'environ 16 % des espèces, principalement sous les tropiques. De plus, le chant du mâle et de la femelle est tellement bien coordonné qu’il semble être le fait d'un seul oiseau.

Les cris d’alarme occupent une bonne place dans les communications courantes chez les oiseaux. L’auteur nous présente l’exemple du Méliphage de Nouvelle-Hollande qui surveille les menaces pour toute la communauté aviaire d’un jardin botanique australien. Il émet notamment un cri d'alarme spécifique pour l'épervier que tous les oiseaux reconnaissent. Puis à leur tour, ils émettent chacun le propre cri d’alarme de leur espèce. Dans cette cacophonie de cris d’alarme, il est fort à parier que le rapace risque de repartir sur sa faim. Chez certaines espèces les cris peuvent varier selon le type de menace et sa provenance, ou encore pour décider s’il faut houspiller ou fuir. Chez d’autres oiseaux, les cris vont jusqu’à préciser la taille du prédateur, sa distance et ce que fait le prédateur; il est perché, il s'approche, etc… Il y a les cris, mais le silence aussi peut faire office d’alarme, lorsque des oiseaux bruyants comme le Carouge à épaulettes se taisent c'est aussi un signal de danger à proximité.

Plusieurs espèces peuvent aussi mettre en commun leurs cris et gestes de houspillages pour faire fuir un prédateur. Je l'ai d'ailleurs moi-même observé à l'égard d'une Chouette rayée à la Réserve naturelle Gault. Ils étaient trois ou quatre espèces à vouloir la faire partir de son perchoir. Le houspillage s'accompagne généralement de picossage, mais il peut aussi être associé à des vomissements ou des lancés de fientes sur le prédateur pour l'éloigner. Dans le cas des vomissements, les mouettes utiliseraient cette méthode et certaines grives lanceraient des fientes. Toutefois, le houspillage est aussi un sport dangereux, des oiseaux téméraires l’ont payé de leur vie, mais selon des chercheurs il s’agit également d’un mode d'enseignement pour les plus jeunes afin qu'ils connaissent bien qui sont les menaces, les prédateurs.

Il y a aussi les imitateurs de chants et de cris. Pourquoi des oiseaux imitent-ils d'autres oiseaux? Est-ce par pure tromperie? Ce genre de «mensonge sonore», ou cette ruse requiert de l'esprit, de l’intelligence. On connaît à ce jour 139 espèces d'oiseaux imitateurs comme nos moqueurs. Les imitations peuvent être le fait de mâle pour impressionner les femelles afin d’être choisi. Un truc pour voler de la nourriture en imitant un cri d'alarme, l’oiseau visé laisse sa proie pour se sauver et l’imitateur la récupère sans trop d’effort. C’est un moyen de défense, en sifflant comme un serpent l’oiseau fait fuir la menace. Le Ménure superbe est certainement l’un des meilleurs oiseaux imitateurs. Il imite tout...(vidéo ci-dessous). L’imitation n'est pas machinale ou acquise, elle nécessite un apprentissage. Pourquoi les imitateurs imitent-ils certains oiseaux et pas d'autres? C'est bien possible que ce soit uniquement une question de capacité de l'oiseau à imiter des sons qui s’approche de son propre registre.

L'oiseau imitateur de bruits et sons en tout genre : le ménure superbe

Travailler

Les oiseaux savent rapidement quoi manger, où le trouver, comment le cacher et le retrouver. On sait que les oiseaux disposent d'une excellente vision notamment dans les UV, d'un bon odorat, pensons aux urubus, d'une ouïe extraordinaire comme chez les hiboux et les chouettes avec leurs oreilles asymétriques. Tous ces sens bien aiguisés leur permettent de s’alimenter plus facilement. Mais certaines espèces disposent de plus d’un truc dans leur sac. Certains vont épier leur voisin pour dénicher les bons endroits où trouver de la nourriture ou pour connaître leurs cachettes. Nous savons que des oiseaux utilisent un appât pour faciliter la chasse ou la pêche, plusieurs hérons le font. D’autres vont laisser tomber des palourdes, des noix, des os pour les briser afin d'être en mesure de les manger. Il y a les utilisateurs d’outils qui insèrent des brindilles pour attraper des fourmis, qui frappent une huître avec un objet pour la briser ou encore les rapaces qui suivent les feux de forêt parce que leurs proies fuient à découvert.

Ackerman nous raconte que les oiseaux fourmiliers vont utiliser les fourmis légionnaires comme rabatteurs. Elles qui font un tapis de neuf mètres de large en avançant à 4 mètres à l'heure pour débusquer des essaims d'insectes dont’ils s’alimenteront plus ou moins en coopération. Les humains ont fait la même chose avec un oiseau pour trouver des ruches de miel. Ils ont appris à communiquer avec cet oiseau pour en profiter. Il y a aussi les petits singes-écureuils qui sont espionnés par des oiseaux pour profiter de leur recherche de nourriture. Le martin-pêcheur surveille d'autres mangeurs de poissons pour subtiliser un lunch. Il peut aussi y avoir de la coopération lorsque les pélicans forment un demi-cercle autour d'un banc de poisson et que les goélands ou les fous en tirent profit. La Buse de Harris fait de la chasse familiale, jusqu'à six membres d’un groupe vont travailler ensemble pour attraper des proies plus grosses. Un couple de corbeaux va chasser ensemble, il y en a un qui fait diversion et l'autre attrape l’œuf ou le poussin au nid. Le Casse-noix d'Amérique est réputé pour être un des meilleurs pour cacher des réserves de nourriture et les retrouver bien entendu. Le colibri est en mesure de se rappeler et de retourner aux fleurs les plus productives de nectar.



Jouer

On dit que tous les animaux jouent et on associe facilement le jeu à l’apprentissage chez les jeunes. Qu’en est-il chez les oiseaux? Eh bien, ils jouent eux aussi. Un oiseau peut se jeter sur le côté et faire le mort. Plusieurs espèces aiment faire de la voltige comme chuter des airs comme un avion et ouvrir les ailes à la dernière minute. Le Grand corbeau est réputé être un grand joueur. Il peut jouer avec des brindilles, se baigner, se rouler dans la neige ou se laisser glisser. Les oiseaux inventent des jeux. Les chercheurs ne savent pas si ces jeux ont une fonction régénératrice pour le cerveau. Les Kéas, qui sont surnommés les clowns des montagnes, adorent le jeu. Ces oiseaux ont une jeunesse très longue jusqu'à 8 ans et dans leur cas le jeu est considéré comme un facilitateur social. Il leur permettrait également d'apprendre à innover en trouvant des solutions au défi quotidien de la vie en montagnes alpines. C'est cette section qui m'a semblé la plus faible du livre.

Aimer

L’ensemble des techniques de séduction, de parade nuptiales et de reproduction sont très diversifiées chez les oiseaux. Les façons de faire vont des plus douces aux plus brutales. La monogamie est plutôt un mythe chez les oiseaux qu’une réalité. Les parades nuptiales ou précopulatoires peuvent être sauvages, somptueuses ou extravagantes, la Grue à couronne rouge ne donne pas sa place comme parade nuptiale extraordinaire. Le Traquet rieur, en plus de chanter et de danser, va transporter des kilos de cailloux pour sa dulcinée. Le cacatoès joue de la batterie en maintenant un rythme avec une brindille. C’est un des domaines où les caméras ultras rapides ont permis aux observateurs d'en apprendre davantage sur les danses nuptiales des oiseaux comme pour celui dont on croyait qu'il ne faisait que sautiller alors qu’en fait, il faisait en même temps un tour sur lui-même. Rappelez-vous les Jardiniers maculés qui fabriquent des tonnelles décoratives qui prennent des jours à construire. Pendant que la femelle admire sa construction, il va en plus danser et chanter pour la séduire. Chez le Jardinier satiné, la clarté de sa nuque rose va aussi être remarquée par la femelle. L'usage de caméra ultraviolet nous permet de constater que les femelles voient des couleurs que nous ne voyons pas et qui peuvent servir à la séduire comme pour la nuque rose du Jardinier satiné. Par contre, pour le Manchot Adélie plus il a le cou grassouillet, plus la femelle va apprécier, il y aurait là un signe qu’il est bon pour apporter de la nourriture. Chez le Troglodyte des forêts plus son chant est fort et mélodieux c’est le même principe, il est probablement plus en santé que les autres…est-ce que le mâle qui donne le meilleur spectacle (danse, chant, construction, couleurs) est doté des meilleurs gènes? Il semble que pour la femelle c'est une bonne indication. Les chercheurs ornithologistes se demandent si la femelle choisit le plus «intelligent» en souhaitant que cela améliore les capacités cognitives de sa descendance. Par contre, d’autres estiment qu’il peut s’agir tout simplement d’une question «d'efficacité du signal». Les couleurs les plus vives, le chant le plus fort, la rapidité du chant, etc., tout cela rend le message plus saisissant pour les femelles. Pour elles, cela peut vouloir dire «lui il est prêt» et il a réussi à capter mon attention. On peut même penser que c’est uniquement pour l'esthétique, parce que c'est beau tout simplement. Darwin avait avancé la notion de «sélection sexuelle» qui fait en sorte que les oiseaux portant un très beau rouge, ou celui avec la plus grosse bosse sur le bec ou disposant des plus grandes plumes sont sélectionnés par les femelles même si ces attributs sont inutiles ou contraires à la «sélection naturelle» quitte à retarder l’évolution de l’espèce. Il semble y avoir encore une bonne part de mystère dans les comportements de séduction et de reproduction.

Élever les petits

Comme pour la séduction et la reproduction, la parentalité est en liberté, il en existe de toutes les sortes et formes. Ça commence avec la fabrication du nid, c’est-à-dire comment va-t-on le fabriquer, où on va l’implanter, qui va le faire... Les nids sont de toutes sortes, il y en a des gros comme un dé à coudre jusqu'au nid géant pesant plus d'une tonne. Il y en a de toutes les formes et qui sont constitués de tous les matériaux possibles. Nos connaissances sont encore limitées au sujet des nids, nous disposons de la description des nids pour environ 75% des espèces, cependant nous savons qui construit le nid uniquement pour 20 % des espèces. Est-ce la femelle seule, le mâle seul, les deux ensembles ou un groupe? On sait que la fabrication d'un nid est un apprentissage par l'observation et la pratique puisque les oiseaux élevés par l'humain n'arrivent pas à construire des nids appropriés. L'emplacement du nid année après année va aussi changer selon l'expérience, on recherche les meilleurs emplacements. C’est un moment qui pourra faire l’objet de confrontation ou de bataille. La défense du nid sera aussi un enjeu. Les oiseaux ont recours à diverses méthodes qui relèvent de la diversion ou carrément des attaques. La Pie australienne attaque, elle peut même vous blesser. Des centaines d'attaques sont répertoriées chaque année. Les soins parentaux effectués par les différentes espèces d’oiseaux sont aussi très diversifiés, ça va de la négligence totale jusqu’à l’élevage en communauté. Ainsi, les œufs peuvent être confiés à d'autres, ça peut être uniquement la femelle qui s'en charge, ça peut être le mâle, les deux ou une communauté. Toutefois, la biparentalité est le fait de 80% des espèces. Prenons les Éclectus, les femelles fréquentent plusieurs mâles généralement de 5 à 6 pour être alimentées en nourriture alors qu'elles demeurent toujours dans la cavité pour la protéger. Il semble que ce soit une question de rareté des cavités appropriées qui aurait induit ce comportement. D’autre part, on retrouve dans la littérature selon Ackermann, plusieurs récits d'oiseaux alimentant une autre espèce, le Merle bleu de l'Est qui nourrit des oisillons Troglodytes familiers par exemple. Pourquoi ce comportement étrange? Il y a bien quelques hypothèses, mais la plus probable est que l'appel des jeunes affamés ne peut être ignoré notamment par les femelles.

Il y a aussi une centaine d'espèces qui sont des parasites de couvées obligatoires c'est-à-dire qu’ils dépendent de cette pratique pour leur propre reproduction. Nous connaissons bien le Vacher à tête brune avec sa méthode de parasitage. Le Vacher aurait malheureusement contribué à la quasi-disparition du Viréo de Bell et de la Paruline de Kirtland. Pour contrer le parasitage, la Paruline jaune aura tendance à nicher à proximité des Carouges à épaulettes parce qu'ils sont agressifs à l’égard des Vachers à tête brune. Certaines espèces sont en mesure de reconnaître leurs œufs, notamment en produisant des designs spécifiques à la surface de l’œuf. Par contre, le rejet d’un œuf peut entraîner la destruction de tous les œufs par la femelle parasitaire. Il semble que certaines espèces vont accepter l’intrus pour éviter d’avoir à recommencer le travail. Encore là, le «parasitage» ne se déroule pas toujours de la même façon d’une espèce à l’autre.

Il a été question de communauté, eh bien, les Grands anis vont œuvrer en groupe de 2 à 4 couples monogames plus deux assistants non reproducteurs. Le groupe va construire un nid partagé dans lequel les femelles vont pondre leurs œufs. Ils vont ensuite élever la couvée ensemble. Le groupe ainsi formé peut demeurer solidaire jusqu'à 10 ans. Chez le Pic glandivore, on retrouve un processus du même genre, mais cette fois-ci il y aura sept membres apparentées et trois femelles apparentées et un grand nombre d'assistants. Les femelles vont aussi pondre dans le même nid.

Pour terminer le livre, Ackerman nous fait une brève dissertation sur la destruction des habitats, la disparition des oiseaux, la nécessité de faire de la conservation et de la recherche pour les sauver. Elle souligne également la grande capacité d’adaptation des oiseaux. Puis dans un élan de prospective, elle discute avec un chercheur qui souligne qu'avec leur grande intelligence les corvidés pourraient devenir les prochains dominants sur la planète une fois la disparition de la race humaine.


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