jeudi 29 juin 2023

Migrations - Pourquoi et comment migrent les oiseaux de Marc Duquet

 

L'ouvrage «Migrations - Pourquoi et comment migrent les oiseaux» (2021) de Marc Duquet fait certainement partie de la catégorie des beaux livres.  Nous sommes en présence d’une couverture rigide en format carré de 10” par 10” avec plusieurs excellentes photos en double page. En fait, il y a des photos d'oiseaux à presque toutes les pages, soit plus de 200 photos.  Chacune de ces photos dispose d’une légende explicative des plus pertinentes en rapport avec la présentation de l’auteur.  On y retrouve également une vingtaine de cartes visant à illustrer les différents parcours migratoires d'Amérique, d'Europe et d'Asie. Voilà pour ce qui est du contenant.

L’ensemble du texte contenu dans le livre se divise en deux sections comportant onze chapitres chacune. La première section intitulée «Le phénomène migratoire» débute avec un peu d'histoire. L'auteur nous rappelle les croyances des premiers observateurs d'oiseaux, à l’époque on cherchait à comprendre où disparaissait les oiseaux l'hiver. Ainsi on croyait entre autres que les hirondelles se cachaient dans la boue des étangs. On pensait que certains oiseaux entraient dans une sorte d'hibernation ou de léthargie. On allait jusqu'à penser que certaines espèces se transformaient en une autre l'hiver venu. Puis avec des observations, il était plus ou moins admis que certaines espèces se déplaçaient vers des cieux plus cléments. 

Fait intéressant, pour certaines personnes, les migrations aidaient à gérer les activités de saison en saison, comme une sorte de calendrier saisonnier. Le temps de semer arrivait lors du passage de la Grue, c’était le moment de tondre les brebis lors du passage des Milans. C'est vers la fin du 16e siècle que les «ornithologues» ont davantage mis l'accent sur les déplacements migratoires plutôt que sur l'hibernation. En voyageant eux-mêmes, il constatait la présence des oiseaux dans les pays plus chauds (les explorateurs ont également pu les informer). Puis on commence à colliger les dates d'arrivée et de départ des oiseaux et on les compare avec les informations sur la température. Le 19e siècle verra la théorie de l'hibernation au fond de l'étang s'éteindre tranquillement.

L'étude des migrations est passée des observations visuelles des déplacements à l'utilisation de ficelles de coton ou d'aluminium à la patte au baguage au début du 20e siècle. Les stations de baguages se multiplient, les bagues de couleur, les colliers en plastique et autres marquages individuels apparaissent graduellement. Au début des années 70, les émetteurs radio commencent à être utilisés, ces géolocalisateurs se miniaturisent rapidement et peuvent être utilisés sur des oiseaux de plus en plus petits.

Les grand axes migratoires
On déterminera graduellement les aires de nidifications au nord et les zones d'hivernages au sud. Ces déplacements impliquent deux voyages saisonniers par année pour les oiseaux. On compte huit grandes routes migratoires dans le monde, dont trois, en Amérique. Il y a celle du Pacifique (à l'Ouest), celle du Mississippi (au centre) et celle de l'Atlantique Ouest (à l'Est). On apprend que la migration évolue en fonction du climat global, de l’état des habitats et des succès de la reproduction. Cette évolution sera différente d'une espèce à l'autre, on verra par exemple des espèces devenir migratrices et sédentaires à la fois, comme le Roselin familier et les Étourneaux sansonnets. D'autres espèces deviennent sédentaires comme la Cigogne blanche et l'Hirondelle rustique en Europe.

Les 3 axes en Amérique

Les trajets migratoires aussi se modifient au gré des obstacles et des dangers qui sont nombreux. Il y a bien sûr les obstacles naturels tels que les montagnes, les déserts, les grandes étendues d’eau. Il leur faudra trouver des vallées, des cols, des détroits, des isthmes, ces bandes de terre étroites, etc. Des éléments naturels qui créent des «passages obligés» tels des goulots d'étranglement qui voit passer des milliers d'oiseaux. Gibraltar en étant un bel exemple puisqu'il voit passer plus de 200 000 Milans noirs chaque année. En Amérique, la région de Veracruz va voir passer plus de 5 millions de rapaces à l'automne. Panama est un autre passage dans cet axe. La Floride est aussi un passage obligé pour d'autres espèces qui fréquentent plus la côte est.

Les oiseaux, en plus de rencontrer différents obstacles plus ou moins naturels, font aussi face à de nombreux dangers comme la destruction de leurs habitants, les maladies aviaires, les prédateurs comme les rapaces et les chats domestiques, les changements climatiques qui accentuent les phénomènes naturels (ouragans, feux, sécheresse, etc.), la chasse récréative, le piégeage, le «marché des oiseaux» et tout ce que l'auteur qualifie de «structures verticales» soient l’ensemble de nos constructions qui nuisent aux oiseaux; les pylônes électriques, les éoliennes, les gratte-ciel, les tours de communication, etc.


Dans le Grand Nord, la période propice à la reproduction ne dure que quelques semaines ainsi dès le mois d'août, plusieurs espèces débutent le voyage du retour ou sont déjà parties. C’est à ce moment que les haltes migratoires vont devenir importantes parce que les oiseaux sont peu nombreux à faire le trajet d'une seule traite. Le recours aux haltes pourra se faire sur de courte distance, de moyenne ou encore de très longue. On apprend toutefois qu’au sein d'une même espèce, il peut y avoir des stratégies différentes de fréquentation des haltes migratoires en cours de route. Les oiseaux vont privilégier la recherche de zone où l'eau, la nourriture et les abris seront disponibles. Il s’agit généralement de zones humides qui sont déjà répertoriées par les ornithologues. Au fil des ans, certains endroits disparaissent ou ne sont plus fréquentés alors que de nouveau sont découverts.

Les haltes migratoires

La deuxième section du livre, intitulée «Stratégies migratoires», nous présente différentes caractéristiques associées aux façons de faire des différentes espèces d'oiseaux. Tout d'abord, les oiseaux doivent d’abord procéder à une accumulation de graisse qui représente de façon générale 50% de leur poids. Par la suite, ils doivent choisir le bon moment pour quitter afin de ne pas se faire prendre par la température changeante. À cet égard, la photopériode est le déclencheur généralement reconnu, c'est-à-dire la longueur du jour.  Puis, certaines espèces vont choisir la migration par vague par exemple les mâles en premier, les femelles par la suite puis les juvéniles, d'autres espèces vont le faire dans l'ordre inverse. Le calendrier migratoire de chaque espèce peut être différent et est associé entre autres à la biologie de reproduction (choix du partenaire, construction du nid, temps de couvaison, temps d'élevage des petits pour le premier vol). 

Une fois le voyage entrepris, il faut savoir s'orienter. Il y a différentes méthodes de navigation chez les oiseaux que l’auteur nous présente comme la «boussole céleste» c'est-à-dire l'usage du soleil, de la lune et des étoiles puis la «boussole magnétique» associée au champ magnétique terrestre. Cette dernière méthode serait innée alors que la boussole céleste nécessite un apprentissage tout comme la mémoire visuelle lors du premier voyage qui permettra la création d'une carte mentale. Cette carte, avec les années d’expérience, permet également d'apprendre des trajets alternatifs. D'ailleurs, des chercheurs ont réussi à apprendre un trajet plus sécuritaire à des oies en utilisant un deltaplane motorisé, une expérience bien connue.

Un autre aspect important des stratégies de vol, c'est le vent. Les oiseaux préfèrent un vent en provenance de l'arrière. D'autre part, on verra plus souvent les passereaux migrer la nuit parce que les vents sont généralement en moins forts et moins dangereux. D’autres espèces vont préférer le jour notamment pour se nourrir en déplacement. On apprend aussi que les oiseaux voleront plus ou moins haut selon le vent, les nuages et la température. Bien évidemment, les oiseaux planeurs vont faire des choix différents que ceux qui battent des ailes régulièrement  pour se déplacer. On admet généralement que la vitesse de croisière moyenne des oiseaux est de 40 à 50 km/h. Par contre, le Bécasseau maubèche est réputé atteindre une vitesse moyenne de 70 km/h.  Des espèces vont choisir de voyager seules alors que d’autres le feront en groupe. Nous savons que migrer en groupe est plus sécuritaire et permet d'économiser de l'énergie.

Outre les tendances générales des grands axes migratoires, on verra des oiseaux faire des trajets plus ou moins longs, on aura aussi des «migrateurs partiels» qui ne se déplacent que sur de courte distance. Il y aura aussi des oiseaux nomades qui se déplacent selon les conditions météorologiques. Duquet nous fait part de différents types de migrations établies, il nous parle de la migration en chaîne, de la migration à saute-mouton, de la migration en boucle, de la migration télescopique, de la migration différentielle en fonction du sexe de l'âge et il ajoute même la migration rampante c'est-à-dire des espèces d'oiseaux qui vont franchir tout de même une bonne distance au sol en marchant ou en faisant de très courte distance d'un bosquet à un autre.

Types de migration

L'auteur nous fait également par d’autres déplacements comme ce qu'il appelle la migration de mue. Il donne en exemple le Tadorne de melon qui est reconnu pour se regrouper pour la mue. En Amérique, il note le Grèbe à cou noir qui se regroupe au lac Mono en Californie. Il est aussi question de la migration de fuite, il s’agit des situations ou les oiseaux vont «fuire» le froid, les tempêtes ou autre. Ce sont ces situations qui souvent font en sorte que certaines espèces apparaissent alors en nombre inhabituel dans des lieux habituellement moins fréquentés. Il ajoute également à ces déplacements atypiques ce que nous connaissons comme étant des irruptions ou des invasions, c’est-à-dire des apparitions d'oiseaux pas vraiment structurées  chronologiquement ou géographiquement, généralement non prévisibles et qui sont surtout le fait des granivores par exemple les Jaseurs, les Tarins des pins, les Sizerins flammés, etc. Par contre, on connaît des situations ou les invasions sont liées à la présence plus ou moins nombreuse des proies comme dans le cas du Harfang des neiges et celles-ci sont un peu plus prévisibles. Finalement, il y a aussi les erreurs de parcours de certains oiseaux qui vont dépasser leur aire de nidification sous l'effet d'un bon vent arrière et les chutes de migrateurs souvent dus à la météo, la migration inversée de jeunes oiseaux, etc.  Il termine le livre avec des portraits de grands migrateurs comme la Sterne arctique avec ses records de 80 000 km puis nous présente quelques autres espèces qui franchissent aussi des dizaines de milliers de kilomètres de façon originale chaque année.

En somme, je ne pense que du bien de ce livre. L’auteur a su trouver le ton juste pour ne pas être trop académique tout en nous livrant une mine d’information. C’est le signe d’un bon vulgarisateur. Ses commentaires sont bien documentés, le phénomène migratoire est bien décortiqué, de nombreux exemples nous sont présentés. Ainsi, l'auteur nous explique une caractéristique de la migration puis nous présente une espèce d'oiseau qui y correspond avec photos et cartes à l’appui.

C'est bien écrit, c’est accessible et on s'emballe en le lisant tellement c'est fascinant. Il est difficile de s'arrêter, on s'étonne de tous ces mouvements des oiseaux.  Cet ouvrage est excellent autant pour les débutants qui vont en apprendre beaucoup que pour les experts pour qui il s'agira probablement d'une révision ou d'une mise à jour, mais probablement avec un nouveau vocabulaire francophone. Je vous le recommande ardemment malgré son prix de 60$. Vous pouvez inviter votre bibliothèque locale à se le procurer.

L'auteur Marc Duquet a rédigé plus d'une dizaine d'ouvrages ornithologiques, seuls ou en collaboration et il en a traduit également quelques-uns de l'anglais au français. Duquet mentionne que cet ouvrage s'inscrit en quelque sorte dans une suite. En fait, il considère que les éléments qui caractérisent le plus les oiseaux sont le vol, leurs comportements de reproduction et leur migration saisonnière ainsi cet ouvrage viendrait compléter ses livres «Des plumes et des ailes» portant sur le vol et «Sexe et séduction chez les oiseaux» concernant la reproduction.

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