samedi 10 avril 2021

L’odorat de l’Urubu à tête rouge a fait l’histoire…


L'Urubu à tête rouge (Cathartes aura) est un nécrophage qui se nourrit essentiellement de charognes; les animaux morts tels que les cerfs le long de nos autoroutes. Eh bien, il y a eu pendant des années un débat à savoir si l’Urubu à tête rouge trouvait son alimentation à la vue ou à l’odorat. Mais pourquoi ce débat a-t-il fait l’histoire? Parce qu’il a opposé deux personnages flamboyants à leur époque, John-James Audubon et Charles Waterton et parce que la réponse définitive à la question nous est venue beaucoup plus tard des gazoducs…


Urubu à tête rouge
Photo: Robert Allie

Il y avait depuis très longtemps deux écoles de pensée au sujet de la façon dont les «vautours», dans le sens général des charognards, trouvaient leurs proies. Les trouvaient-ils à l’aide de la vision ou de l’odorat? Aududon était de ceux qui croyaient que les oiseaux n’avaient pas un bon odorat et il publia en 1826 un article enflammé pour prouver son point «An Account of the Habits of the Turkey Buzzard (Vulture) particularly with the view of exploding the opinion generally entertained of its extraordinary power of smelling.»… Ce papier n’a pas eu l’effet escompté et la communauté «scientifique» (en pleine création) était partagée. C’est alors que Waterton publie une réponse avec autant d’éclat et assez sarcastique pour contrer le point de vue d’Audubon. Il mentionne quelque chose comme «Je n'ai jamais pensé vivre assez longtemps pour voir cet oiseau privé de son nez» ou encore « le vautour n’a pas été tué par l’artillerie de cet auteur», etc. Les deux ont effectué des expériences avec des carcasses pour démontrer leur point de vue. La majorité des personnes concernées par ce débat se sont tout de même rangées du côté d’Audubon principalement parce qu’il était un gentleman plus apprécié et moins excentrique que Waterton réputé pour être un bon conteur de blagues grivoises. Aujourd’hui, ces deux hommes seraient davantage considérés comme des artistes plutôt que des scientifiques. Quelques années plus tard, Charles Darwin qui connaissait les deux personnages a avancé que les arguments en faveur ou à l’encontre des capacités olfactives des «vautours» étaient plutôt équilibrés. Ainsi, la question n’était pas réglée. Elle a plutôt été poussée sous le tapis pour des dizaines et des dizaines d’années.


C’est alors que l’histoire nous raconte, de façon plus ou moins anecdotique, qu’un employé de l’Union Oil Company of California (fondé en 1890) aurait remarqué vers 1938 que des «vautours» se rassemblaient le long des lignes de gazoducs aux endroits où des fuites de gaz se produisaient. L’observation des Urubus en serait même devenue une méthode de surveillance du réseau. Cette observation s’est rendue aux oreilles de Kenneth Stager, ornithologue au Musée d'histoire naturelle du comté de Los Angeles. Il entreprit de faire de ce sujet l’objet de ses études doctorales. Après quelques années de recherche et d’expérimentation sur le terrain, il publia sa thèse en 1962 et un premier papier public en 1964. Avec «The Role of Olfaction in Food Location by the Turkey Vulture», Stager confirma que les Urubus à tête rouge étaient attirés par l’odeur de l’éthylmercaptan… Ce composé chimique est un agent odoriférant ajouté au gaz naturel inodore justement pour le rendre perceptible. Or, l’éthylmercaptan est aussi le gaz dégagé par une carcasse en décomposition!!! Les expériences de Stager ont permis de constater la place prépondérante de l’odorat dans la quête alimentaire de l’Urubu à tête rouge sans être exclusive puisqu’il utilise aussi sa vue.


D’autres recherches complémentaires autour de l’anatomie des urubus ont permis de constater que le bulbe olfactif de l’Urubu à tête rouge, l’endroit où les odeurs sont analysées dans le cerveau, est quatre fois plus gros que celui de l'Urubu à tête noire. L’Urubu à tête rouge est d’ailleurs considéré comme un des oiseaux ayant le meilleur odorat. Cela lui permet d’ailleurs de repérer des carcasses d’animaux morts qui sont bien cachés sous le couvert forestier. Toutefois, en ce qui concerne son régime alimentaire, saviez-vous que l’Urubu à tête rouge va davantage consommer des carcasses de petits animaux, car son bec n’est pas suffisamment fort pour entailler la peau des plus gros animaux comme les cerfs. Dans ces cas, il va plutôt profiter du travail des mammifères carnivores comme les renards ou des collisions entre la faune et les automobiles. D’où l’hypothèse voulant que la répartition géographique de l’Urubu à tête rouge se soit développée au même rythme que le réseau routier nord-américain.

Revenons au débat qui a fait l’histoire, il semble que l’obstination de nos deux belligérants, Audubon et Waterton ait peut-être été fondée sur un malentendu dès le départ. En effet, il est possible qu’Audubon ait étudié davantage l’Urubu à tête noire qui n’a pas un odorat particulièrement efficace alors que Waterton s’époumonait à vanter l’odorat de l’Urubu à tête rouge…



Robert Allie


Sources :

All About Birds, «Do Vultures Find Dead Animals By Smell Or By Tracking Predators Or Scavengers On The Ground?», April 1, 2009
https://www.allaboutbirds.org/news/do-vultures-find-dead-animals-by-smell-or-by-tracking-predators-or-scavengers-on-the-ground/

Atherton, Kelsey D.,«Gas Leaks Are Designed To Attract Turkey Vultures - Carry on, carrion birds» by, January 26, 2016
https://www.popsci.com/gas-leaks-are-designed-to-attract-turkey-vultures/

Audubon , J.J., «An Account of the Habits of the Turkey Buzzard (Vulture) particularly with the view of exploding the opinion generally entertained of its extraordinary power of smelling.», December 1826, presented to the Edinburgh Natural History Society.

Eaton, Joe, «When It Comes to Smell, the Turkey Vulture Stands (Nearly) Alone», October 7, 2014
https://baynature.org/article/comes-smell-turkey-vulture-stands-nearly-alone/

Espace pour la vie
https://espacepourlavie.ca/faune-biodome/urubu-tete-rouge

Grison, Benoît, «Du flair de Waterton à l’odorat des oiseaux - Les vautours repèrent-ils les carcasses à l’odeur ?» par, mai 2020, Pour La Science No 512
https://www.pourlascience.fr/sr/histoire-sciencesdu-flair-de-waterton-a-l-odorat-des-oiseaux-19388.php

Grigg, N.P., Krilow, J.M., Gutierrez-Ibanez, C. et al., «Anatomical evidence for scent guided foraging in the turkey vulture», Sci Rep 7, 17408 (2017).
https://rdcu.be/b4p7k

Manaugh, Geoff, «Avian Infrastructure», BLDBlog, January 24, 2016
https://www.bldgblog.com/tag/turkey-vultures/

Stager, Kenneth E., « The Role of Olfaction in Food Location by the Turkey Vulture (Catharthes Aura)», Contribution in Sciences, No.81, June 1964
https://www.biodiversitylibrary.org/part/241029

Stager, Kenneth E., «Avian Olfaction», American Zoologist, Volume 7, Issue 3, August 1967, Pages 415–420.
https://doi.org/10.1093/icb/7.3.415

Sundstrom, Bob, «Turkey Vultures and Gas Pipelines - This nose knows!», Podcast BirdNote
https://www.birdnote.org/listen/shows/turkey-vultures-and-gas-pipelines

Yang, Melissa, «By Shattering the Vuture’s Nose», The Goose, 2020, Vol.18 No.2, Article 33
https://scholars.wlu.ca/cgi/viewcontent.cgi?article=1651&context=thegoose

Weber, Hank on May 12, 2020 «Can You Smell It?», BirdsWatchers Blog
https://otwtb.birdwatchersdigest.com/reflections-on-birds/can-you-smell-it/

Wikipédia, «L'Urubu à tête rouge», page visitée en avril 2021
https://fr.wikipedia.org/wiki/Urubu_%C3%A0_t%C3%AAte_rouge

2 commentaires:

  1. Textbooks say most birds can't smell. Scientists are proving them wrong By Elizabeth Pennisi, Jul. 7, 2021
    https://www.sciencemag.org/news/2021/07/textbooks-say-most-birds-cant-smell-scientists-are-proving-them-wrong

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  2. Les Urubus ont aidé à découvrir un problème de contamination de l'eau potable... https://www.gazettemauricie.com/transparence-trouble-a-shawinigan-boues-toxiques-et-gestion-opaque/

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