lundi 26 octobre 2020

Biographie de Samuel de Champlain... et les oiseaux eux?



«Le Rêve de Champlain» (2012) de David Hackett Fischer paru en français chez Boréal a d'abord été publié en 2008 aux États-Unis et au Canada anglais. Cette oeuvre titanesque constitue certainement la biographie la plus achevée au sujet de Samuel de Champlain. Il faut féliciter au passage Daniel Poliquin pour sa traduction de cette brique. En effet, 1000 pages bien tassées pour faire le tour de la documentation concernant Champlain. L'histoire que nous raconte Hackett Fischer se consomme en 25 chapitres sur 614 pages, c'est donc dire qu'il a 400 pages tout aussi intéressantes d'appendices, de notes, de bibliographies et autres.

J'ai été fasciné par la persévérance de Samuel de Champlain pour mener à bien son projet d'établir une communauté francophone en Amérique. Il ne peut en être autrement, il est vraiment le fondateur de l'Amérique francophone. On se rend compte à quel point c'est l'homme qu'il était, «l'humaniste», qui a permis la concrétisation de son rêve, ses «autres» talents ont été des outils au service de son projet. Il est également rassurant de constater qu'il a été possible pour lui et ses compatriotes de s'entendre et de vivre ensemble avec la majorité des nations amérindiennes présentes là où ils s'établissaient et plus encore. Il y a mis des efforts, il a fait des erreurs, mais essentiellement il y est arrivé. À cet égard, l'appendice I mérite le détour, l'auteur y fait une nomenclature annotée de plus d'une cinquantaine de communautés autochtones dont plusieurs ont disparu aujourd'hui. Pour tous ceux qui sont intrigués par les origines des francophones en Amérique, c'est un ouvrage à lire.

Encore une fois, pour ceux et celles qui hésitent à se briser les yeux sur des centaines de pages de petits caractères... l'ouvrage de Hackett Fischer a donné lieu en 2015 à la réalisation d'un documentaire qui résume fort bien le livre. Avec Maxime Le Flaguais dans le rôle de Champlain, cette série en six épisodes réalisée par Martin Cadotte, est actuellement disponible sur TFO.

... et les oiseaux eux?
Certains d'entre vous se rappelleront la conférence «Une sortie ornithologique avec Samuel de Champlain» présentée par Réal Boulet. Il y était question des oiseaux vus par les membres du Club des ornithologues d'outre-tombe, dont Champlain. Réal m'a probablement donné le goût de creuser la question... Dans cette biographie de Hackett Fischer, il est question des oiseaux observés par Champlain seulement à six ou sept occasions. Par contre, en fouillant rapidement dans les récits de ses voyages en Nouvelle-France (disponible en ligne), on constate qu'il est question d'observation d'oiseaux au moins à trente-sept occasions. Des descriptions plus ou moins longues que Champlain fait lors de ces observations, il est possible d'identifier plus d'une cinquantaine d'espèces d'oiseaux. On ne peut pas en faire la liste ici, mais voici tout de même quelques exemples intéressants; dans les récits il est fait

mention des «Fauquests / Fauquets», il s'agit fort probablement des Puffin fouquet (Ardenna pacifica); il y a des «Maupoules / Poulles d'eau» qui sont probablement notre Gallinule d'Amérique (Gallinula galeata); il y a des «Huars / Huarts / Huats» qui font certainement référence à nos Plongeon huard (Gavia immer); des «Mauves / Mauves blanches & grises» qui peuvent être assimilées aux sternes, dont la Sterne pierregarin (Sterna hirundo); les «Taillevents» qui nous renvoie probablement au Puffin fuligineux (Ardenna grisea);  les «Tangueux» pour les Petit pingouin (Alca torda); lorsque Champlain écrit des «Grues blanches comme les cygnes», la Grande Aigrette (Ardea alba) nous vient à l'esprit; il fait mention de «Perdrix de trois sortes» auxquelles il ajoute la «Gelinotes» et de par sa description on comprend que le Lagopède des saules (Lagopus lagopus) fait partie du groupe; dans cette description «petits oiseaux qui ont le chant comme Merles noirs horsmis le bout des ailles qui sont orangés» on croit reconnaître le Carouge à épaulette (Agelaius phoeniceus); etc. 

Voici une autre description d'observation de Champlain qui sort vraiment de l'ordinaire «autres sortes d'oyseaux de proye, bien que rares au respect des autres, d'un plumage gris sur le dos, & blanc souz le ventre, estans de la grosseur & grandeur d'une poulle, ayans un pied comme la serre d'un oyseau de proye, duquel il prend le poisson: l'autre est comme celuy d'un canard, qui luy sert à nager dans l'eau lors qu'il s'y plonge pour prendre le poisson: oiseau qu'on croit ne s'estre veu ailleurs qu'en la Nouvelle France.» Il est question ici du Balbuzard pêcheur (Pandion haliaetus). Cependant, Champlain reprend ici à son compte une croyance qui date de Albert le Grand (1200-1280) qui a écrit que cet oiseau avait l'un des pieds pareil à celui d'un épervier, et l'autre semblable à celui d'une oie, ce qui est faux bien entendu...

Nous avions compris que lorsque Champlain parlait de «Perroquets de mer» il faisait référence au Macareux moine (Fratercula arctica), mais lorsqu'il nous décrit ce qui semble être un perroquet en pleine forêt, on se demande ce qu'il a vu. Voici sa description «Je m’engageai tellement dans les bois pour poursuivre un certain oiseau qui me semblait étrange ayant le bec approchant d’un perroquet, de la grosseur d’une poule, le tout jaune, fors la tête rouge et les ailes bleues, et allait de vol en vol comme une perdrix. Le désir que j’avais de le tuer me fit le poursuivre d’arbre en arbre fort longtemps, jusqu’à ce qu’il s’envola à bon escient.», eh bien il est fort possible qu'il est observé une Conure de Caroline (Conuropsis carolinensis ludovicianus), un perroquet à aile bleu aujourd'hui disparu qui était l'unique espèce de perroquet indigène des États-Unis. Pour vous en convaincre davantage, allez lire l'excellent texte de Claude Ducharme «Le perroquet de Champlain» paru dans Le Jaseur le bulletin de la SLOE.

D'autre part, il y a une autre de ses descriptions qui laisse perplexe. Champlain semble avoir observé presque toutes les espèces de rapaces que nous connaissons aujourd'hui sur le territoire qu'il a exploré, par contre il mentionne avoir observé des «Fauves & Vaultours» qui tout de suite nous font penser aux Urubu à tête rouge (Cathartes aura), mais il n'y avait pas, à notre connaissance, d'Urubu à nos latitudes à cette époque, le début du XVIIe siècle. Est-ce qu'il y avait des Urubus à cet époque dans le sud du Québec ou de l'Ontario ? Il faudrait vérifier où il était au moment de ces observations de vautours...

2 commentaires:

  1. Le rêve de Champlain...
    Vous avez apprécié le texte sur Champlain et ses oiseaux. Champlain a de nouveaux adeptes puisque quelques personnes se sont attaquées à sa biographie. Par contre, je n'ai pas de réponse au sujet de la présence de «vautours» à cette époque et dans les faits Champlain se trouvait au sud du Nouveau-Brunswick d'aujourd'hui lorsqu'il parlait de ces rapaces mangeurs de carcasses.

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  2. Dans les écrits du père Gabriel Sagard, le lecteur intéressé pourrait également jeter un œil à son «Histoire du Canada et voyages...» (1636), dans le Troisième livre au Chapitre II, il y est question: «Des oyseaux plus communs du Canada». De plus, l'édition critique établie par Marie-Christine Pioffet (2022), l'historienne y ajoute des notes fort intéressantes. Les descriptions d'oiseaux que fait Sagard sont parfois inspirées de Cartier, Champlain ou d'autres voyageurs de cette époque.

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